Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, le système des retraites n’est pas financièrement en danger. Ce qui l’est en revanche, c’est le niveau des pensions. Décryptage du rapport du Conseil d’orientation des retraites.
La réforme des retraites serait « indispensable », assène Emmanuel Marcon, « absolument nécessaire », appuie Élisabeth Borne, qui nous invite à relire le rapport du Cor (Conseil d’orientation des retraites) pour s’en convaincre. Mais pour qui et pour quoi faire ? Pour assurer le financement de la transition écologique, de la santé et de l’école et lutter contre les déficits des systèmes de retraite dans un pays qui vieillit… le gouvernement continue de chercher le ou les arguments qui vont convaincre les Français de travailler plus longtemps, sur fond de dramatisation des équilibres budgétaires.
Pour le moment, ils ne l’entendent pas : à peine 20% des Français souhaitent, en effet, un report de l’âge légal à la retraite, selon un récent sondage. Le dernier baromètre annuel sur les opinions et attentes des cadres (Ugict-Cgt/Secafi/Viavoice) va plus loin : 56% des cadres interrogés s’y prononcent pour un rétablissement de l’âge de départ à la 60 ans avec prise en compte des années d’études, financée en partie par la mise à contribution des dividendes pour une majorité (53%).
Des hypothèses de productivité qui peuvent être contestées
Acceptons quand même l’invitation d’Élisabeth Borne : la lecture attentive du rapport du Cor sur l’évolution et les perspectives des retraites en France est, en effet, tout à fait instructive. Lors de la présentation du document, Pierre-Louis Bras, président du Cor, a précisé les hypothèses retenues par Cor pour projeter l’évolution des systèmes des retraites à partir de 2032 : elles sont démographiques (taux de fécondité, espérance de vie, solde migratoire), économiques de long terme et de très long terme sur la productivité du travail (dans ce cas fixées par les membres du Cor eux-mêmes), et tiennent compte d’un taux de chômage cible (7 % en 2032, stable ensuite). Premier enseignement : ces hypothèses peuvent être discutées. «Personne n’en sait rien, prévient Pierre-Louis Bras. Pour le moment, il y a un débat entre les économistes “techno” optimistes et pessimistes ». Le Cor propose donc quatre scénarios de manière à présenter « une vision de tous les possibles » : une croissance annuelle de la productivité du travail à 0,7 %, 1,0 %, 1,3 % et 1,6 %.
Pour juger de la soutenabilité financière du système de retraite, un indicateur est en outre central : la part des dépenses de retraites par rapport au Produit intérieur brut. Si cette part a fortement augmenté entre 2002 et 2014 pour atteindre un pic de 14,1% du Pib, elle connaît ensuite une diminution du fait notamment de mesures de sous-désindexation des pensions, enfin une remontée et une stabilisation jusqu’en 2027. A partir de 2032, les résultats dépendent des hypothèses du Cor : la plus favorable (1,6% par an) indique une part de Pib de 12,1% ; la plus défavorable (0,7% par an) de 14,7%, en 2070. Dans le cas d’une hypothèse de productivité de travail à 1%, mais avec un taux de chômage de 4,5%, la trajectoire des dépenses de retraite serait stable puis diminuerait à 13,7% en 2027.
Des excédents… et des déficits modestes
C’est le deuxième enseignement du rapport 2022 : « Dans la plupart des hypothèses, la charge que représentent les retraites pour les actifs diminuera, sauf dans la plus défavorable », souligne Pierre-Louis Bras. Il faut, en outre, remettre les chiffres et les déficits annoncés ou projetés en perspective : en 2020, un point de Pib, c’est 23 milliards d’euros. « Par rapport à l’économie globale du système de retraites, 330 milliards d’euros environ chaque année, il n’y a vraiment pas péril en la demeure, a précisé Régis Mezzasalma, conseiller confédéral Cgt en charge des retraites, dans un webinaire organisé par l’Ugict-Cgt [Vidéo] . Si les excédents sont modestes, les déficits le sont tout autant ». Dans un pays qui vieillit, il y a pourtant une raison au fait que les dépenses de retraites ne vont pas déraper. Cette raison : la diminution relative des pensions par rapport à la rémunération des actifs, montre le Cor.
« Avec un décrochage de l’ordre de 20 %, c’est même le principal enseignement de son rapport », souligne l’économiste Michaël Zemmour, un décrochage en partie alimenté par deux mécanismes : la faiblesse du point d’indice et la place accordée aux primes dans la fonction publique ; les effets des accords Agirc-Arrco conclus ces dernières années, avec notamment une augmentation du prix d’achat de la valeur du point et le refus d’augmenter les cotisations. C’est dans le régime des cadres que le rendement de la cotisation a déjà le plus sévèrement été amputé : alors que 100 euros de points rapportaient 11,94 euros de pension annuelle en 1993, ils n’en rapportaient plus que 7,50 en 2018. Selon les dernières projections, la pension totale nette d’un cadre liquidant sa retraite en 2062 ne représentera plus que 51 % de son dernier salaire, contre 67,2 % en 2020 et 72 % dans les années 1990.
Un objectif de réduction des dépenses publiques
Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, une réforme reportant l’âge légal et/ou allongeant la durée de cotisation, n’est donc pas nécessaire. Mais le projet poursuit une double stratégie, analyse Michaël Zemmour : « Il s’inscrit, comme pour l’assurance chômage, dans une refonte globale du marché du travail visant à travailler plus longtemps et exacerber la concurrence entre travailleurs, avec des protections réduites ; il est aussi un instrument au service de la réduction des dépenses publiques », en lieu et place d’une analyse de fond sur ce qu’il faudrait effectivement corriger (inégalités femmes-hommes, poly-pensionnés, baisse relative des pensions…). Secrétaire générale de l’Ugict-Cgt, Sophie Binet, y voit un autre intérêt pour ses promoteurs : celui « de libérer davantage d’espace pour le capital et l’épargne retraite, dans une stratégie notamment de financiarisation des entreprises », un mouvement alimenté par l’effondrement du taux de remplacement pour ce qui concerne notamment la retraite des cadres.
À la suite de la journée de mobilisation du 29 septembre, un rassemblement à l’initiative de la Cgt est prévu, le 6 octobre, devant le siège de l’Agirc Arrco, jour du conseil d’administration devant décider du niveau de revalorisation de la retraite complémentaire : 15 millions de retraités du secteur privé sont concernés, l’exigence étant celle d’une revalorisation au moins égale à l’inflation (6,2 %). Alors qu’une nouvelle négociation Agirc Arrco devrait également s’ouvrir, le baromètre annuel des cadres de l’Ugict dessine en outre la réforme que ces derniers voudraient voir se concrétiser, à une écrasante majorité (82 %) : celle qui garantisse une pension au moins égale à 75 % du salaire en fin de carrière.
Cela suppose d’autres choix. Dans « Options, la bataille sociale » (n°672, printemps 2022), Pierre-Louis Bras affirmait dans un entretien : «Il est loisible de penser qu’il faudrait dépenser plus pour les retraites et donc prélever plus sur les actifs. C’est une option qui a sa légitimité. Néanmoins, il est tout aussi légitimement possible de proposer de moins dépenser pour alléger les prélèvements opérés sur les actifs. C’est un choix politique majeur ». Il réaffirme aujourd’hui les termes de ce choix. En refusant toute discussion sur les ressources, le gouvernement, même en temporisant, a fait le sien.